L’arrêt du Conseil d’État du 13 juin 2025 (Conseil d'État, Chambres réunies, 13 juin 2025, 463831) vient rappeler avec force les exigences déontologiques pesant sur l’exercice médical au sein de locaux partagés avec des entreprises commerciales. En annulant une décision disciplinaire relative à une ophtalmologiste exerçant dans une clinique attenante à un magasin d’optique, la haute juridiction souligne l’interdiction d’une confusion entre activité médicale et activité commerciale.
La médecine n’est pas un commerce et l’utilisation directe de procédés commerciaux par des médecins est à proscrire (1). Une vigilance qui doit également s’appliquer au partage de locaux entre professionnels de santé et acteurs commerciaux (2).
Dans l’attente de l’éventuelle adoption de la loi visant à lutter contre les déserts médicaux actuellement en débat au Parlement, la liberté d’installation et d’exercice reste le principe pour les médecins exerçants en libéral.
Néanmoins, plusieurs principes déontologiques viennent encadrer les modalités d’installation et d’exercice des professionnels médicaux. Ces principes visent notamment à garantir la qualité des soins et surtout, l’indépendance des praticiens.
Le Code de déontologie médicale impose des obligations strictes aux médecins, notamment en matière d’indépendance, de dignité professionnelle et d’interdiction de toute pratique susceptible de compromettre la qualité ou l’objectivité des soins. Dans le contexte de la cohabitation avec des activités commerciales, plusieurs articles sont particulièrement pertinents.
Tout d’abord, l’article R.4127-19 du Code de la santé publique prévoit que « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce ».
En application de ce texte, le médecin doit s’abstenir de toute pratique qui pourrait être considérée comme commerciale. Cela suppose notamment de ne pas faire d’offre promotionnelle sur les actes médicaux qu’il réalise ou encore de ne pas entretenir la confusion entre son activité de médecin et son activité commerciale annexe.
Un médecin a pu notamment être sanctionné par le Conseil de l’ordre des médecins parce qu’il avait installé un « affichage de grande dimension comportant, outre son nom et son numéro de téléphone, les mentions suivantes : " Consultations. Gynécologie. Suivi de grossesse, sur rendez-vous. Médecine du sport, samedi matin sur rendez-vous » (Conseil d'État, 11 septembre 2012, n° 4629).
Il convient de noter qu’outre le caractère surdimensionné de l’affichage, ce médecin ne disposait pas de qualification en gynécologie médicale, ce qui a pu jouer un rôle non négligeable dans la décision du Conseil d’État.
Il n’est toutefois pas certain que le Conseil d’État adopterait la même décision aujourd’hui.
En effet, par une décision marquante du 6 novembre 2019, le Conseil d’État a remis en question l’interdiction absolue et générale de toute forme de publicité qui s’imposait aux médecins (Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies,06/11/2019, 416948).
Un professionnel médical peut désormais assurer la publicité de certaines indications afin de permettre au patient d’être bien informé sur les soins pratiqués et d’exercer son libre choix.
Le Conseil national de l’ordre des médecins a émis une liste de recommandations concernant la communication des médecins et qui peut servir de référence en cas de poursuite disciplinaire.
Sous l’égide de cette nouvelle réglementation, un médecin a cependant été sanctionné pour avoir mis en place une signalétique lors de son installation qui comprenait « des panneaux, en façade de la pharmacie voisine de son cabinet, précisant les horaires de son cabinet et une mention « cabinet médical ouvert » défilant sur la croix lumineuse de cette pharmacie » (Chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, 25 janvier 2022, N° 13549).
La vigilance est donc toujours de mise en matière de signalisation et surtout, d’interaction avec les pharmaciens, au risque d’être condamné sur le fondement du compérage (Article R.4127-23 du code de la santé publique).
Le professionnel médical doit en outre être vigilant quant à l’exercice qui est fait de son nom même par une autre personne physique ou morale et ne doit pas tolérer qu’une entreprise privée, utilise à des fins commerciales son nom ou son activité professionnelle.
En pratique, le médecin devra donc s’assurer qu’aucune publicité, qui serait faite par un tiers ou une entreprise avec laquelle il a des relations, ne mentionne son nom.
Il a ainsi pu être jugé par la chambre disciplinaire que ne constituait pas une publicité illégale un coupon de réduction proposé par un centre situé à Paris dès lors qu’il ne comportait pas le nom direct du médecin mis en cause (Chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, 13 janvier 2022, N° 13789).
Selon la chambre disciplinaire, « il ressort de la présentation du coupon ABC que ne figurent sur celui-ci ni le nom du Dr A, ni l’adresse de son cabinet d’Aubervilliers ni le numéro de téléphone de celui-ci mais seulement ceux du centre XYZ et de son adresse parisienne ».
Une telle décision peut cependant sembler étonnante alors même que le coupon comportait le numéro de téléphone du cabinet du médecin poursuivi. La chambre disciplinaire semble néanmoins estimer qu’en l’absence d’un lien direct avec le médecin, le manquement déontologique ne pouvait être retenu.
À l’inverse, il a été jugé que le fait de laisser des sites internet ou divers magazines propager des indications flatteuses telles que « les résultats de première classe lui ont valu la célébrité et la reconnaissance dans le monde entier », ou encore « médecin esthétique reconnu mondialement (...) considéré comme le meilleur médecin esthétique à Paris » constituait de la publicité commerciale portant atteinte à la dignité de la profession (Chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, 7 avril 2023, N° 14663 bis).
Dans une autre décision, il a pu être jugé par la chambre disciplinaire que :
« le Dr A ne disposait d’aucun contrôle sur les actions publicitaires ou d’information décidées par la société XYZ, n’ayant ni participation ni fonction de direction dans cette société, et qu’aucune clause du contrat la liant à ladite société ne prévoyait sa consultation sur les procédés ainsi utilisés, ni a fortiori la possibilité de s’y opposer. Par suite, et dès lors qu’il n’est pas allégué que ses nom et qualité aient explicitement figuré dans les encarts évoqués par les premiers juges ».
Deux éléments semblent donc fondamentaux pour éviter la qualification en procédé commercial :
Un médecin doit donc être vigilant à ne pas utiliser de procédés commerciaux qui puissent être contraires aux principes déontologiques qui s’imposent à lui. Cette attention doit être encore renforcée lorsque le médecin est amené à partager les locaux, soit avec d’autres professionnels de santé, soit dans des locaux commerciaux.
Les obligations déontologiques des professionnels médicaux imposent de respecter des conditions strictes pour l’occupation des locaux et éviter une confusion avec une activité commerciale.
Les professionnels médicaux ne peuvent par exemple exercer leurs activités de manière foraine et doivent disposer de locaux adaptés à leurs modalités d’exercice.
La règle posée par l’article R.4127-25 du Code de la santé publique est simple :
« Il est interdit aux médecins de dispenser des consultations, prescriptions ou avis médicaux dans des locaux commerciaux ou dans tout autre lieu où sont mis en vente des médicaments, produits ou appareils qu'ils prescrivent où qu'ils utilisent ».
L’interdiction est double :
Toutefois, alors qu’une telle disposition ne parait pas soulever de sujet particulier, le diable se cache souvent dans les détails.
En effet, un local devient commercial notamment lorsqu’il est affecté à une activité industrielle, commerciale ou artisanale et qu’il sert à l’exploitation d’un fonds de commerce.
Un local va donc pouvoir être qualifié de commercial si une activité de commerce y est réalisée et notamment si les locaux sont utilisés pour vendre des médicaments, ou des produits de parapharmacie ou encore si des prestations de service qui ne relèvent pas du soin y sont réalisées.
Un médecin ne pourra onc exercer son art aux côtés d’une société qui commercialise des produits de santé qu’il soit susceptible de les commercialiser ou non.
Une subtilité toutefois.
Si un médecin ne peut exercer dans un local commercial, il peut en revanche, exercer son activité dans un local qui se situerait à l’intérieur d’un ensemble immobilier qui lui peut constituer un local commercial.
Autrement dit, un professionnel médical peut exercer son activité dans une structure qui a une vocation commerciale alors même que le local dans lequel il exerce est clairement identifiable et bien distinct de cet ensemble. Le local doit respecter les obligations déontologiques en matière de présentation notamment en termes de publicité ou d’affichage.
La chambre disciplinaire du CNOM a pu notamment estimer que :
Toutes ces décisions ne sont toutefois pas des plus laconiques sur les critères permettant d’apprécier l’existence d’un tel manquement et sur l’exercice partagé des médecins dans un local commercial.
La décision du Conseil d’État commentée est donc bienvenue.
En 2022, la chambre disciplinaire du CNOM a été saisie, en appel, d’un recours dirigé contre une décision de la chambre de première instance de Rhône-Alpes du 21 décembre 2017.
Un médecin a fait l’objet d’une plainte du Conseil Départemental qui lui reprochait plusieurs griefs et notamment celui d’exercer dans des locaux commerciaux.
Ce médecin, ophtalmologiste, avait conclu un contrat de travail avec une société exerçant la profession d’opticien-lunettier pour pratiquer des actes de chirurgie-réfractive au 1er étage de l’ensemble immobilier appartenant à cette même société. Cette dernière exploitait en rez-de-chaussée un magasin de lunettes.
La chambre disciplinaire de 1ère instance et d’appel ont toutes les deux considéré qu’il n’y avait pas de manquement à l’article R.4127-25 du Code de la santé publique au motif que d’une part, le médecin ne procédait pas à des prescriptions et n’utilisait pas les produits commercialisés par la société qu’il l’emploie. Et d’autre part, l’accès au local était distinct de celui du magasin de lunettes et faisait l’objet d’indications distinctes dans la rue (Chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, 8 mars 2022, N°14157).
Le Conseil d’État est alors saisi d’un pourvoi à la demande du CDOM du Rhône qui estimait, entre autres, que le médecin avait exerçait son art dans un local commercial.
Prenant le contre-pied de la chambre disciplinaire du CNOM, le Conseil d’État estime que : « la devanture du magasin d'optique et celle de la clinique de chirurgie réfractive, sur la façade de l'immeuble visible depuis la rue, entretenaient, par leurs mentions et la typographie utilisée, une confusion entre les activités de commerce d'optique et de chirurgie réfractive de la société. Il en ressort en outre également qu'un ascenseur - ne pouvant, il est vrai, être actionné que par le personnel du magasin d'optique - permettait aux clients et aux patients d'accéder directement à la clinique de chirurgie réfractive depuis le magasin d'optique » (Conseil d'État, Chambres réunies, 13 juin 2025, 463831).
Le Conseil d’État a donc jugé que, malgré l’existence d’un accès distinct de celui du magasin d’optique, la devanture et la signalétique créaient une confusion entre les activités commerciale et médicale de la clinique. La juridiction estime en outre que la présence d’un ascenseur, accessible depuis le magasin d’optique, permettant d’accéder directement à la clinique de chirurgie réfractive, venait renforcer cette confusion pour les patients.
Pour le Conseil d’État, sans que cela ne soit clairement précisé par la décision, l’aménagement intérieur et extérieur de la clinique de chirurgie-réfractive et du magasin d’optique témoigne d’une relation suffisamment forte et étroite devant entrainer la qualification en local commercial.
En refusant de considérer que le médecin avait exercé son activité dans un local commercial, la chambre disciplinaire du CNOM a donc commis une erreur de droit.
Cette décision rappelle la rigueur de l’interdiction pour un médecin d’exercer dans des locaux commerciaux, même si l’accès est distinct ou si le médecin ne prescrit pas de produits vendus sur place. Le Conseil d’État insiste sur l’importance de l’apparence extérieure et de l’absence de toute confusion possible entre activité médicale et commerciale.
Faut-il en conclure que l’exercice pour un médecin dans un ensemble immobilier constitué sous la forme commerciale est désormais proscrit ? Cela ne semble pas être le cas.
Néanmoins, une telle décision semble revenir sur les jurisprudences antérieures de la chambre disciplinaire du CNOM citées supra et qui se contentaient d’un accès distinct ou de la simple utilisation du plateau technique mis à disposition, sans réellement rechercher si l’organisation entre les différents locaux est susceptible de créer une confusion dans l’esprit du patient.
Cet arrêt soulève d’importantes questions sur la possibilité pour des médecins de partager des locaux avec des sociétés ayant une activité commerciale.
Une vigilance particulière est donc indispensable en cas de réalisation d’un tel partage et des aménagements concrets devront être mis en œuvre pour pouvoir éviter tout risque déontologique.
Mathieu Gautier, associé